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Coronavirus : les avocats inquiets de la situation dans les prisons - Entretien avec Me MORINEAU

Les avocats s'alarment des conditions sanitaires de détention pendant l'épidémie de coronavirus et rencontrent de sérieuses difficultés pour continuer à défendre leurs clients. Le Conseil d'Etat a rejeté mercredi une demande visant à renforcer les mesures de précaution. Entretien avec Amélie MORINEAU.

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Officiellement, seuls 69 prisonniers ont été testés positifs au coronavirus en France. En outre, 670 détenus ont été placés en quatorzaine, soit parce qu'ils montraient des symptômes de la maladie, soit parce qu'ils venaient d'arriver en prison et pouvaient être porteurs du virus. Deux personnes - dont ​un homme de 73 ans détenu à la prison de Fresnes - en sont mortes. Et au total, 519 détenus sont sortis de confinement. Ces chiffres sont contestés par des associations d'avocats, qui pointent des incohérences dans le discours officiel.

La semaine dernière, quatre organisations, dont l'Observatoire international des prisons (OIP), ont saisi le Conseil d'Etat pour réclamer une meilleure protection de la santé des prisonniers. Le Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière a également formé un recours en référé devant le Conseil d'Etat, réclamant des mesures supplémentaires pour les gardiens, comme la distribution de masques, de gants et de gel hydroalcoolique.

Ces deux demandes ont été rejetées mercredi . Le Conseil d'Etat a en effet considéré que le gouvernement n'avait pas manqué à sa mission de protéger les détenus comme les personnels pénitentiaires.

La contrôleure générale des lieux de privation de libertés Adeline Hazan a de nouveau dénoncé samedi l'impréparation des pouvoirs publics français face à l'épidémie. «Ce que prouve cette crise en prison, c'est qu'aucun plan n'avait jamais été - par aucun gouvernement - envisagé pour faire face à l'éventualité d'une épidémie et de ses conséquences en prison», a-t-elle dit sur France Inter.

«On voit bien que les pouvoirs publics (...) ont été pris de court et ont bricolé un certain nombre de décisions mais tout à fait en urgence».

Surpopulation carcérale

La lutte contre le Covid-19 est d'autant plus difficile que les prisons françaises débordent. En janvier, la France a, une énième fois, été condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), pour qui la surpopulation carcérale est un « problème structurel » dans l'Hexagone. En temps d'épidémie, c'est un casse-tête plus prégnant encore.

Le gouvernement a donc cherché à abréger la détention de détenus condamnés à des peines inférieures à cinq ans et dont la date de libération approchait. Résultat : le nombre de prisonniers a baissé de « près de 8.000 » personnes en un mois. Mais le taux d'occupation des prisons reste supérieur à 100 %.

« Le taux de surpopulation, qui était de 119 % au 1er mars, avec plus de 72.400 détenus, est, au 7 avril, de 107 % avec 64.439 détenus. Nous comptons donc près de 8.000 détenus en moins », a déclaré la Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, devant les députés le 8 avril. Les mesures de libération anticipées expliquent seulement la moitié de cette baisse, le reste étant dû au ralentissement de l'activité judiciaire en temps de confinement.

De leur côté, les prisons ont également pris des mesures pour limiter la propagation du virus, telles que l'isolement des détenus présentant des symptômes de la maladie par exemple. Mais ces mesures sont considérées comme insuffisantes par plusieurs associations d'avocats, qui s'alarment des risques sanitaires et de la difficulté à faire respecter les droits de la défense.

Situation tendue dans les maisons d'arrêt

La situation est particulièrement difficile dans les maisons d'arrêt - où sont détenues des personnes en attente de jugement. Le gouvernement « ne prévoit rien pour faciliter la mise en liberté des personnes en détention provisoire, qui constituent pourtant près de 30 % de la population carcérale », note l'OIP . Ces lieux étant particulièrement surpeuplés, les conditions de détention y sont déjà éprouvantes en temps normal.

« Pour les prisonniers de la maison d'arrêt de Nancy, la situation est très compliquée à vivre, explique Emilie Fritsch, avocate pénaliste de la région. Ils sont à deux ou trois personnes par cellule, les promenades sont restreintes et il n'y a plus de parloir avec la famille. » Les détenus présentant des symptômes du coronavirus ont été isolés au rez-de-chaussée de l'établissement.

A cause de la surpopulation, certaines mesures sanitaires ne peuvent être prises. « Les personnes les plus à risque, qui ont une pathologie au long cours comme le VIH ou du diabète, ne peuvent pas être isolées, s'alarme Amélie Morineau de l'association A3D (Avocats pour la défense des droits des détenus). Elles se retrouvent dans une cellule avec quelqu'un qui peut être un porteur sain. »

Droits de la défense en suspens

Pour les avocats, il est en outre difficile d'avoir accès à leurs clients. « Les parloirs avocats sont ouverts, mais les salles ne sont souvent ni suffisamment grandes ni aérées, raconte encore Amélie Morineau. Les avocats se retrouvent face à un dilemme : aller en détention pour préparer une audience ou renoncer à défendre correctement leurs clients de peur de propager le virus. »

D'un tribunal à l'autre, les recommandations du gouvernement ne sont pas toujours appliquées de la même manière. C'est le cas par exemple des audiences organisées pour décider de la prolongation des détentions provisoires. « Ces audiences peuvent être aménagées en visioconférence ou par procédure écrite, explique Amélie Morineau. Mais certaines juridictions les prolongent automatiquement, sans audience et sans débat. » A Paris, par exemple, la prolongation de la détention provisoire est automatique, ce qui n'est pas le cas à Versailles. Ce qui pose un problème « d'inégalité de traitement » entre les détenus.

Des chiffres « problématiques »

La surpopulation dans les maisons d'arrêt est d'autant plus inquiétante que le nombre de détenus malades du Covid-19 pourrait être sous-estimé. Les chiffres publiés par le gouvernement sont « problématiques » et « invérifiables », juge la porte-parole d'A3D.

Selon le ministère, on trouve des nouveaux entrants parmi les 670 détenus qui étaient placés en confinement à l'intérieur de l'établissement le 9 avril. Ces derniers sont automatiquement placés en quatorzaine pour ne pas contaminer les autres détenus. « Rien qu'avec les nouveaux arrivants, on excède les chiffres publiés par le ministère », souligne Amélie Morineau.

En moyenne, 62 personnes sont incarcérées tous les jours ces dernières semaines, précise le cabinet de la ministre de la Justice. Ce qui voudrait dire que 868 personnes devraient se trouver en confinement uniquement en raison de leur arrivée récente. Davantage que les 670 détenus théoriquement confinés.

Source : https://www.lesechos.fr/politique-societe/prison

Amélie MORINEAU