Portrait d'Amélie MORINEAU dans le bulletin du barreau de PARIS
Amélie Morineau dresse le constat que dans l’univers judiciaire, les avocats accompagnent leurs clients jusqu’au procès, mais les suivent rarement dans leur parcours en détention puis vers la libération. Convaincue que la réflexion sur le sens de la peine est primordiale, elle estime que la justice ne doit pas s’arrêter au délibéré. Explications…
On ne choisit pas ses références par hasard. Si Amélie Morineau évoque d’emblée Victor Hugo parmi les écrivains qui l’accompagnent, ce n’est pas seulement pour l’exceptionnel talent narratif qui se dégage de son œuvre, mais pour la subtilité et l’art du contre-pied qui lui a par exemple fait écrire « J’aime l’araignée et j’aime l’ortie, Parce qu’on les hait ». Une tournure d’esprit et un sens du pas-de-côté similaires ont amené la jeune femme encore étudiante en droit à s’intéresser à ce qui se passe dans les prisons, « ces lieux qu’on ne veut pas voir et qu’on construit en dehors de nos villes, de la même façon que les hôpitaux psychiatriques, les centres de rétention et toutes les structures où la société placent ceux qui sont marginalisés. Or la manière dont on traite ceux qui sont à la marge dit beaucoup plus de nous que d’eux ». Le ton est donné, Amélie n’aime pas les strass et les paillettes, il lui faut donner un sens aussi concret que profond à son action, et cette évidence a surgi dès l’époque de son engagement associatif avec le Genepi, une association essentiellement étudiante qui milite pour le décloisonnement des prisons.
Au-delà de la part d’humanité qui a poussé Amélie à se pencher sur la condition des personnes incarcérées, la démarche invite surtout à s’interroger sur la signification que le système judiciaire attache à la peine de prison. « S’il s’agit uniquement de considérer qu’on punit le coupable d’un crime, cela peut s’entendre, détaille-t-elle. Mais mettre des gens dans un trou avec des rats, ça ne fait ni réfléchir, ni progresser, et la société n’en sort pas grandie. Or la fonction de la peine, cela doit aussi être la réinsertion du condamné, ne serait-ce que dans l’objectif très pragmatique de limiter les risques de récidive puisque c’est systématiquement l’objectif affiché ». Pour participer à donner un sens à la peine, Amélie a trouvé sa voie en se dirigeant vers le droit de l’application des peines, qui lui a été ouverte par Me Sylvain Gauché. L’avocat grenoblois qui l’a accueillie en stage sur la fin de son parcours universitaire, membre de l’Observatoire International des Prisons (OIP), a mis fin à toutes ses hésitations sur son avenir professionnel : « Il a une pratique du métier qui correspond très exactement à ce que je veux faire de ma vie. Je suis donc rentrée à l’EFB avec une vision très claire. Je ne voulais pas être dans un grand cabinet… et je ne veux faire que ce qui me plait ». L’énoncé peut sembler un brin capricieux, il est en réalité très ambitieux lorsqu’on évalue le niveau d’exigence que se fixe maintenant Me Morineau.
La détermination est palpable dans les propos d’Amélie Morineau au moment de détailler la complexité de convaincre par exemple un juge d’application des peines (JAP) de lui accorder sa confiance : « il ne s’agit pas de plaider la clémence, qui est le plus faible des arguments, mais de permettre un retour progressif à la liberté, de faire évoluer l’exécution de la peine. On se présente donc avec un projet qui apporte des garanties, des projets très cadrés, qui demandent énormément de préparation : des permissions de sortie dans un premier temps, une promesse d’embauche qui ne soit pas de complaisance, une structure familiale dont on sait qu’elle pourra absorber ce retour, etc. Mais dans la grille de lecture des JAP, il y a toujours une bonne raison de dire non, parce que personne ne remplit toutes les cases. Donc il y a, toujours une part de confiance qu’il faut emporter ».
Bien entendu, la responsabilité de libérer une personne condamnée avant la fin de sa peine n’est pas anodine. Les dossiers présentés par Amélie doivent donc afficher une solidité à toute épreuve, en particulier dans les cas où figure une qualification liée au terrorisme : « C’est presque injouable, mais c’est ce qui est intéressant. C’est là qu’il y a le moins d’aménagements possibles, mais c’est aussi là qu’il faut se poser la question du sens de la peine. Quelqu’un qui est parti en Syrie et en est revenu, qui a été irréprochable pendant quatre ans de contrôle judiciaire et se trouve condamné à deux ans de prison, on ne lui accorde aucun aménagement alors qu’il a parfois un emploi et une famille. Pourtant, est-ce que la qualification de terrorisme vous exclut de la société ? Non. Est-ce que le plus intelligent c’est de continuer de s’acharner et donc d’alimenter leur doctrine ? Non. Est-ce que la peine doit avoir moins de sens pour eux que pour les autres ? Non. Est-ce qu’on se protège mieux collectivement en les laissant aller jusqu’au bout de leur peine et en leur disant ‘’au revoir, bonne journée’’ ? Non. »
À l’appui de son argumentaire, l’épisode du Covid, qui a vu le taux d’occupation moyen des prisons redescendre à 100 % après 25 ans de surpopulation ininterrompue, à la suite d’une nécessaire vague de libérations, conforte la conviction de cette spécialiste du sujet : « Il ne me semble pas que le monde se soit effondré, ni que la délinquance ait augmenté. Je ne crois pas non plus que ça ait tellement indigné l’opinion publique ». La difficulté de faire progresser les usages dans le droit de l’application des peines et le droit pénitentiaire tient également au déficit de formation des avocats dans ces spécialités. Peu ou pas enseignées dans les cursus de droit et à l’EFB, ce contentieux par ailleurs faiblement rémunérateur se retrouve négligé dans les souhaits d’orientation des jeunes avocats. Mais en tant que présidente de l’A3D, Amélie Morineau tient précisément à développer au sein de la profession l’accès aux connaissances spécifiques de son domaine : « par exemple, nous avons mis en place des formations obligatoires préalables à l’inscription des confrères parisiens sur les listes de commissions d’office pour intervenir à la prison de la Santé en commissions de discipline. Et l’association A3D dispense toute l’année, auprès de tous les barreaux qui nous sollicitent, des formations en droit pénitentiaire et en droit de l’application des peines». Pas facile, de faire aimer les araignées !